Grandir à Quito

En mission de Service Civique pendant un an en Équateur, Halima et Jessica tirent le bilan d’une expérience qui a forcément impacté leur vie. Parce que le changement, c’est tout le temps.

Girls band

D’un côté un van, un chien, cinq filles, un road trip sauce peruana ; de l’autre l’université Lumière Lyon 2, un master en économie sociale et solidaire, une envie de se frotter au terrain ; au bout, Quito, Équateur, et deux missions de Service Civique d’un an pour Halima et Jessica, au contact des enfants gérés par la fondation Ecuasol. Soit deux parcours aux départs très divers, mais liés par un passage commun via la case volontariat international. Avec ses espoirs, ses doutes, ses leçons et ses lendemains. Différents, évidemment.

Equateur, Quito, La Roldos, Ecuasol

C’est fin 2013 que se rencontrent Halima et Jessica, dans la maison des volontaires d’Ecuasol bâtie sur les pentes glissantes de La Roldos, en périphérie nord-ouest de Quito. De son trip au Pérou, Halima avait rapporté une expérience de bénévolat chez Ecuasol, au hasard des rencontres. Alors, quand la possibilité d’une mission de Service Civique se présente, elle n’hésite pas malgré un passage difficile : « mon père décède la veille de l’entretien. Je ne sais pas vraiment pourquoi je m’y suis présentée. Peut-être parce que je lui avais parlé du projet et qu’il m’avait soutenue. Je suis allée en Algérie pour ses obsèques et je suis partie un an, le 28 décembre 2013. » La roue du destin est lancée.

Quant à Jessica, elle cherchait « le compromis idéal, entre avoir des compétences à mettre au profit de l’association, et apprendre des choses sur le terrain au contact de publics en demande. » Et si elle visait plutôt l’Asie, la boussole pointera finalement vers l’ouest: « les seules missions dans le champ social étaient en Amérique du Sud, dont Ecuasol, la seule qui m’ait répondue ! (rires) Donc je suis partie. Je ne savais pas vraiment où c’était, quelque part en Amérique latine, mais je savais bien peu du pays. »

Tout le monde les bras en l’air !

Volontaires et responsables

Rapidement rejointes par Marianne et Lou, elles formeront l’équipe de quatre volontaires en Service Civique chargés d’animer l’action d’Ecuasol durant l’année 2014 : gestion et comptabilité pour Jessica, coordination pédagogique pour Halima, les tâches sont réparties, le travail titanesque. Lorsqu’un ballon fait étape chez elles, en mai, cela fait six mois qu’elles sont au boulot. Et parfois, la lassitude pointe. Halima : « il y a eu des moments de gros doutes. Quand tu arrives en volontaire, tout est beau tout est neuf, nouveau pays, nouvelle langue, nouveaux enfants. Puis progressivement tu as une sorte de descente, entre les problèmes de la fondation à gérer, la misère, les violences, et tu te sens impuissante. » Un sentiment partagé par Jessica qui prendra des vacances deux mois plus tard : « je suis partie dans la montagne péruvienne et je me suis dit que je ne me ressemblais plus du tout. J’étais au bout du rouleau, je pense que j’ai frôlé le burn-out. »

C’est que la charge des responsabilités est rude à encaisser pour des « jeunes de 25 ans tout juste sorties de l’école », dixit Jessica. À chaque fournée de volontaires, un cycle à relancer, un contexte à appréhender, le quotidien de la solidarité internationale. Jessica – qui questionne par ailleurs l’utilité des actions de développement menées par un Occident suivant un système montrant lui-même ses limites – se veut réaliste : « j’en garde un très bon souvenir, mais je ne pense pas avoir été très utile. À ma grande tristesse, le symbole de ça, de toute ma mission même, c’est le four à pain qu’on a construit avec les parents. Ça m’a coûté tous mes dimanches pendant six mois, de 7 à 14 heures, parce que ça me tenait à cœur de montrer aux familles qu’elles aussi peuvent apporter leur pierre à l’édifice qu’est Ecuasol, qu’il n’est pas question d’assistanat ou de charité, mais de se serrer les coudes. Je trouvais l’image du four assez parlante, et elle l’a été jusqu’au bout. Il se fissurait par endroits et quelques mois après mon départ, Halima m’a appris qu’il avait été détruit. Plutôt que de s’intéresser à son histoire et d’instaurer de la continuité, c’est reparti de zéro. »

C’est précisément pour palier à ce manque de continuité qu’Halima, restée en Équateur au terme de sa mission, a poursuivi bénévolement en tant que référente des volontaires : « ça m’a permis de prendre du recul, d’analyser les choses d’un point de vue professionnel, ça m’a aidé à prendre de la maturité. » Un bénéfice constant chez les volontaires : la prise de maturité et de confiance en soi. Même s’il faut parfois du temps pour pleinement l’intégrer. Pour Halima, qui débutera en septembre prochain en tant que professeure dans le 93, c’est désormais acquis : « le volontariat est toujours bien considéré. J’ai l’impression que cette expérience, dans ces quartiers, avec ce type d’enfants assez difficiles, ça joue toujours dans les entretiens, dans le sens que ce qui nous attend sera forcément plus facile. Même si je sais que si je me sens mieux armée, je peux avoir encore des difficultés. »

Les enfants ont du talent

Se marier, se balader, prendre l’apéro

Et puis il y a tout le reste, l’après, l’imprévu. Pour Halima, ce fut la rencontre avec Oscar à la fiesta de la Virgen, la fête de la Vierge, dans le quartier de la fondation. Quelques pas de bachata et une longue relation plus tard, les voilà mariés : « ce n’était absolument pas dans mes projets de rentrer mariée, mais voilà, le destin ! (rires) » Les choses se sont enchaînées, Oscar et Halima habitent désormais en France : « bon, ce n’est pas toujours facile, le quartier et l’encebollado (plat typique du dimanche matin à base de soupe de poisson et de manioc, qui a la réputation de calmer la gueule de bois, ndlr) lui manquent parfois, mais ça va, là on part à Barcelone voir le Camp Nou ! (rires) » Partie volontaire, rentrée épouse, Halima a emprunté l’un des chemins, certes peu fréquenté, offerts à toutes celles et ceux qui décident un jour de mettre du changement dans leur vie.

Jessica, elle, a préféré pousser le curseur liberté à fond : d’un an initialement prévu, son séjour sud américain va en durer trois : « j’ai pris mes 100 dollars d’économie, j’ai laissé filer mon retour, je me suis dit « je suis là, j’ai beaucoup bossé, pas trop profité, rien ne m’attend en France, je pars. » » Deux jobs sur la côte pour remplir la bourse, la découverte de la Colombie, un voilier pour le Panama, travail, croisières, Caraïbes… « C’était cool, ça m’a apporté une liberté que je n’avais jamais eu, mais aussi fatiguant de toujours devoir tout reconstruire, amitiés, relations de travail, d’être dans la précarité du repas et de l’hébergement. Donc, au bout de trois ans, j’avais hâte de rentrer en France. Manger du fromage, boire du bon vin, prendre l’apéro en terrasse… Ça, je crois que c’était mon plus gros kiff quand je suis rentrée à Paris en juin ! »

Désormais toutes les deux bien intégrées dans leurs vies françaises, Halima et Jessica n’oublient pas que leur expérience de volontariat, avec ses bons et ses mauvais côtés, les suit toujours. Et si la tentation d’un nouveau départ revient parfois, c’est avec l’envie de ne pas refaire les mêmes erreurs qu’à 25 ans. Car si Jessica n’a toujours pas trouvé de réponse à ses questions sur l’utilité de la solidarité internationale, elle comme Halima sont sûres d’une chose : elles se sont forgées en se frottant au monde. À l’Ouest, rien de nouveau, donc : les voyages forment toujours la jeunesse.

Texte et photos Eric Carpentier

Halima, Jessica et toute la fondation Ecuasol sont à retrouver pages 163 à 166 du livre Un (voyage en) Ballon.